Mieux comprendre le transfert conventionnel
Spécificité importante de certains de nos secteurs, le transfert conventionnel est lourd de conséquences pour les salariés et le régime juridique qui s’applique est très particulier, il est donc important de revenir en détail pour mieux connaitre et comprendre les droits des salariés dans le cadre de ce dispositif aux forts enjeux.
Mieux comprendre le transfert conventionnel
Dans certains secteurs de prestation de services, les entreprises qui gèrent des marchés par exemple de propreté, de sécurité, de restauration collective, peuvent perdre des marchés au profit d’autres entreprises.
Dans ces situations, les salariés affectés à ces marchés-là vont être concerné par ce qu’on appelle un transfert conventionnel.
Il s’agit d’un dispositif spécifique qui a été mis en place parce que les dispositions légales « classiques » du transfert « légal », le transfert automatique des contrats de travail en application de l’article L.1224-1 du code du travail ne sont pas applicables – selon la jurisprudence de la Cour de cassation - dans ces secteurs.
Ainsi, ce sont donc les conventions collectives de chacune des branches concernés qui ont mis en place, un transfert des contrats de travail des salariés. Il s’agit donc du transfert des salariés à un nouvel employeur, celui qui a récupéré le marché (le repreneur) sur lequel le salarié était affecté.
Si la logique est donc proche du transfert « légal », dans le sens où il s’agit d’un changement d’employeur pour maintenir l’emploi, les règles applicables aux salariés dans le cadre de ce transfert sont en réalité très différentes, et en outre il arrive qu’elles ne soient pas toujours correctement appliquées.
A ce jour, il y a 14 branches qui ont mis en place un transfert conventionnel, et dans le champ de la Fédération, on trouve 5 branches. Il s’agit de la prévention sécurité, la propreté, la restauration collective, les hôtels cafés restaurants, la branche des fleuristes, ventes et services des animaux familiers, uniquement pour les activités de refuge et de fourrières.
Il faut savoir que le transfert conventionnel est très peu régi par les dispositions légales, l’essentiel est régit par les conventions collectives, qui présentent chacune des dispositions particulières. Il faut donc souvent se référer directement à chaque convention en fonction du secteur.
Vous trouverez en note de bas de page la liste des liens permettant de retrouver directement les accords pour chacune des branches[1].
[1] Pour la branche de la propreté : il s’agit de l’article 7 de la convention collective :https://www.legifrance.gouv.fr/conv_coll/id/KALITEXT000027172340/?idConteneur=KALICONT000027172335&origin=list
Pour la branche de la prévention sécurité : il s’agit de l’accord relatif à la reprise du personnel :Convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 1985. Etendue par arrêté du 25 juillet 1985 (JO du 30 juillet 1985) - Textes Attachés - Avenant du 28 janvier 2011 à l'accord du 5 mars 2002 relatif à la reprise du personnel - Légifrance
Pour la branche de la restauration collective : il s’agit de l’avenant n°3 relatif au changement de prestataires de services https://www.legifrance.gouv.fr/conv_coll/id/KALITEXT000005640425/
Pour la branche des hôtels cafés restaurants : il s’agit de l’article 12.1 de la convention collective : https://www.legifrance.gouv.fr/conv_coll/id/KALISCTA000027792262/?idConteneur=KALICONT000005635534&origin=list
Pour la branche des fleuristes concernant les refuges et fourrières : il s’agit de l’accord du 19 octobre 2016 relatif à la reprise du personnel en cas de changement de prestataire dans les activités de refuges et fourrières https://www.legifrance.gouv.fr/conv_coll/id/KALITEXT000033926564/?idConteneur=KALICONT000005635507&origin=list
Non. C’est la différence la plus importante avec le transfert en application des dispositions légales : en cas de transfert conventionnel, celui-ci doit obligatoirement être accepté de manière expresse par le salarié et cela pour tout transfert conventionnel, quel que soit la convention collective applicable et son contenu.
La jurisprudence a même été jusqu’à préciser que la seule poursuite du contrat de travail sous une autre direction ne suffit pas à considérer que le salarié a accepté le transfert[1]. Il est donc exigé une acceptation explicite.
Attention sur ce point, il faut en outre souligner qu’en pratique certaines conventions collectives sont silencieuses sur le sujet et que certains employeurs n’appliquent pas strictement cette obligation de recueillir l’accord du salarié, qui pourtant demeure toujours applicable.
[1] Cass. soc. 26 juin 2013 n° 12-18.201 F-D : RJS 10/13 n° 655 ; Cass. soc. 19 mai 2016 n° 14-26.588 FS-PB : RJS 8-9/16 n° 550
Oui, puisque l’accord est nécessaire, c’est bien qu’il est possible de refuser le transfert de votre contrat au nouveau titulaire du marché, ce refus ne constituant pas en soi une cause de licenciement. Néanmoins, il faut avoir en tête que l’entreprise vous affectera alors à un nouveau site.
Les règles habituelles concernant les changements de sites sont alors applicables.
Dans ce cadre, un licenciement pourrait avoir lieu par exemple dans le cas où le salarié refuserait sa mutation rendue nécessaire par la perte du marché si celle-ci ne modifie pas son contrat de travail[1].
[1] Cass. soc. 9 novembre 2005 n° 03-45.483 FS-PB : RJS 1/06 n° 16
Le plus souvent ce sont l’ensemble des salariés affectés au site repris mais les conventions ou accords déterminent également des conditions à remplir par les salariés pour être repris par le nouveau titulaire du marché ainsi que les obligations respectives de l'ancien employeur et du nouveau (entreprise entrante ou repreneur), il faut donc se référer à la convention applicable.
Les conventions collectives qui mettent en place le transfert conventionnel prévoient les éléments contractuels qui doivent obligatoirement être maintenues lors du transfert. Il est souvent prévu à minima un maintien de l’ancienneté, d’un niveau de qualification et d’un niveau de rémunération, mais les modalités précises varient selon les conventions collectives.
Toutes les clauses du contrat ne sont donc pas par principe maintenues, notamment lorsqu’un avenant à celui-ci est signé. Il faut donc regarder point par point ce qu’impose au repreneur la convention collective applicable.
Par exemple pour la branche de la restauration collective, il est prévu que le nouvel employeur s’engage à maintenir : une équivalence de qualification, l’équivalence globale du revenu antérieurement perçu (mais pas nécessairement les composantes et modalités de versement), et il doit veiller à atténuer les incidences des variations mensuelles du salaire qui pourraient arriver, l'ancienneté.
Autre exemple, en matière de rémunération, pour la convention collective de la propreté (article 7.2 II B) : il est prévu le maintien de la rémunération mensuelle brute pour les heures effectuées habituellement sur le marché repris, à laquelle s’ajoute les éléments de salaire à périodicité fixe (sans obligation de maintien les libellés et composantes, ni même les modalités de versement) pour atteindre la garantie du montant global annuel du salaire antérieurement perçu.
Dans tous les cas, il est vivement conseillé d’être vigilant à la rédaction de l’avenant pour vérifier quelles clauses du contrat initial sont maintenues ou modifiées.
Par exemple, si l’avenant mentionne qu’il se substitue à l’ensemble des clauses du contrat initial, alors il faudra considérer que certaines clauses ne sont pas reprises si le nouvel avenant ne les mentionne pas.
Les dispositions légales et jurisprudentielles n’imposent pas au repreneur de maintenir le statut collectif applicable[1].
En principe, une convention collective de branche pourrait le prévoir mais en pratique, celles du champ de la Fédération des services prévoient toutes que les accords collectifs cessent d’être applicables au jour du travail, au profit du statut collectif applicable au sein de l’entreprise entrante.
Ainsi, et sans qu’il y ait de période transitoire, l’ensemble du statut collectif applicable aux salariés transférés conventionnellement cesse au jour du transfert. Les salariés bénéficient en revanche des accords applicables chez le nouvel employeur dès le jour du transfert.
Néanmoins, il faut souligner qu’une décision récente de la Cour de cassation de 2024 semble amoindrir l’effet de ce principe puisqu’elle avait imposé le maintien d’une prime prévue par accord signé juste avant le changement de prestataire, sur le fondement de la directive européenne relative au transfert[2]. Il faudra donc vérifier l’évolution de la jurisprudence sur ce sujet important.
[1] Cass. soc. 17 novembre 2010 n° 09-67.918 F-D
[2] Cass. soc. 6 mars 2024 n° 21-23.962 FS-B, K. c/ Sté Services maintenance et propreté : RJS 5/24 n° 281