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Questions-réponses sur la démission

Publié le 09/05/2023 (mis à jour le 26/07/2023)

La récente entrée en vigueur, le 23 décembre 2022, d’un nouvel article L. 1237-1-1 du code du travail[1] est venue bousculer le principe jurisprudentiel bien établi selon lequel la démission doit résulter d’une volonté claire et non équivoque du salarié[2].

En effet, cet article issu de la loi dite « marché du travail » prévoit que le ou la salariée peut être présumé démissionnaire s’il a abandonné volontairement son poste et qu’il ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence.

La conséquence, pour le ou la salariée considéré·e comme démissionnaire, est :

  • La privation de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement ;
  • La nécessité de réaliser un préavis ou, à défaut, de s’exposer à une condamnation à verser des dommages et intérêts à l’employeur si celui-ci introduit un recours ; [3]
  • L’exclusion du bénéfice des allocations chômages versées par Pôle emploi (allocation de retour à l’emploi « ARE »).

 

[1] Loi n°2022-1598 du 21 décembre 2022

[2] Jurisprudence constante, exemples récents : Cass. soc., 18 mai 2022, n° 20-15.113 ; Cass. soc., 16 novembre 2022, n° 21-15.713,

[3] Sur ce point nous attendons des précisions, mais ce sont en tout cas les règles applicables à la démission classique

Est-ce que cela signifie que, dès lors que je ne justifie pas une absence, l’employeur peut considérer que j’ai abandonné volontairement mon poste ?

Il faut d’abord avoir bien en tête que ce n’est que si le motif de l’absence ne figure pas dans la liste des absences autorisées (liste légale ou conventionnelle) et que l’absence n’a pas été justifiée que l’employeur pourra considérer que le ou la salariée a abandonné volontairement son poste.

Dans ce cas, l’employeur adressera une mise en demeure.

Ensuite, si une personne s’absente pour un motif d’absence autorisée par la loi ou les dispositions conventionnelles sans en avoir obtenu l’autorisation au préalable, ce n’est que si elle ne justifie pas de son absence et de sa reprise de poste après la mise en demeure qu’elle pourrait être considérée comme démissionnaire.

Par exemple :

  • Un salarié qui prend 4 jours de congés pour enfant malade, sans en demander l’autorisation et sans en justifier, s’expose à ce que l’employeur lui adresse une mise en demeure. Mais dès lors qu’il justifie de cette absence et qu’il mentionne sa date de reprise de poste, il ne s’expose pas à ce que l’employeur présume sa démission ;

 

  • Une salariée qui prend 15 jours de congé sans solde sans en demander l’autorisation, s’expose à ce que l’employeur lui adresse une mise en demeure. Même si elle justifie de cette absence en mentionnant être en congé et que, sans préciser de date de reprise, elle ne reprend pas son poste dès le lendemain de la réception de la mise en demeure, elle s’expose à ce que l’employeur présume sa démission. Néanmoins si elle précise une date de reprise, l’employeur ne pourra la considérer comme démissionnaire que si elle ne reprend pas à la date mentionnée.

Ces deux hypothèses peuvent, en revanche, faire l’objet d’une sanction disciplinaire qui peut aller jusqu’au licenciement si cela est justifié : récidive, faute grave résultant de l’abandon de poste…(voir développement ci-après).

En pratique, il est donc conseillé, pour éviter d’être sanctionné, de prévenir son employeur par tous moyens permettant d’en garder la preuve, en se conformant aux dispositions applicables dans l’entreprise (convention collective, règlement intérieur, contrat de travail…) en termes de délai notamment.

Cela permet également, pour les absences pour lesquelles un maintien de salaire est prévu, de s’assurer qu’elles soient bien rémunérées.

Par ailleurs, certaines absences ne permettent jamais à l’employeur de mobiliser le dispositif de présomption de démission.

Il s’agit d’absences dite légitimes, du fait de leur exceptionnalité ou parce qu’elles sont liées à l’exercice d’un droit fondamental du salarié : les absences pour raisons médicales, l'exercice du droit de grève, l'exercice du droit de retrait, le refus du salarié d'exécuter une instruction contraire à la réglementation ou encore son refus d'une modification unilatérale d'un élément essentiel du contrat de travail.[1]

Il en résulte que, même si le ou la salarié.e n’a pas informé de son absence mais qu’il ou elle en justifie après mise en demeure sans pour autant reprendre son poste, ces motifs d’absences ne permettent pas à l’employeur de considérer que le salarié a volontairement abandonné son poste et donc de le présumer démissionnaire.

Concrètement, l’abandon volontaire recouvre des situations que la Cour de cassation considérait déjà comme des « démissions claire et non équivoques », comme par exemple ne plus donner signe de vie à son employeur pendant plusieurs semaines et débuter un nouvel emploi[2].

A noter que les dispositions conventionnelles autorisant un salarié à s'absenter un nombre de jours limités dans l'année sans avoir à fournir de justificatif, demeurent applicables et font échec à la présomption de démission.

 

A partir de quel délai, si j’ai abandonné mon poste volontairement, est-ce que je m’expose à une mise en demeure ?

Malheureusement, le nouvel article ne fixe pas de délai à partir duquel l’employeur peut adresser au salarié une mise en demeure. 

Cette carence laisse donc une grande marge d’appréciation à l’employeur et risque de créer des disparités entre les salariés.

Il faudra attendre que la Cour de cassation – la plus haute juridiction - se prononce sur le sujet pour espérer une unité sur la question.

Néanmoins, on peut raisonnablement penser qu’au-delà d’une semaine d’absence sans justification, l’employeur pourra adresser une mise en demeure. 

Je reçois une mise en demeure : que dois-je répondre ?

A priori, le ou la salariée qui envisage de répondre à la mise en demeure a une justification d’absence à faire valoir.

Compte tenu de la rédaction de ce nouvel article, qui mentionne que l’employeur met en demeure le salarié de justifier son absence et de reprendre son poste, il est conseillé de répondre à la fois sur le motif de l’absence et sur votre reprise de poste à une date prochaine ou, si vous pouvez en justifier, sur l’impossibilité de reprendre votre poste.

Sinon il faudra reprendre votre poste dès réception de la mise en demeure.

Ainsi, pour le salarié en arrêt maladie qui n’aurait pas adressé ses arrêts de travail dans le délai[3], il est conseillé d’envoyer les arrêts maladie et d’indiquer que vous ne reprendrez le travail qu’à l’issue de la visite de reprise si le médecin du travail vous déclare apte.

Pour les autres cas d’absences légitimes sans reprise de poste possible :

  • L’exercice du droit de retrait : rappelez que vous avez exercé ce droit en date du xxx et indiquer que la reprise du travail n’est pas envisageable dès lors que persiste le danger grave et imminent ;

 

  • L’exercice du droit de grève : indiquez que, constatant que l’employeur n’a pas fait droit aux revendications exposées en date du xxx, vous maintenez vos revendications et continuez à exercer votre droit de grève ;

 

  • Le refus d’exécuter une instruction de sa hiérarchie contraire à la règlementation : rappelez que votre absence est liée à cette instruction et que la hiérarchie maintient sa position ce qui ne vous permet pas de reprendre le travail ;

 

  • Le refus d'une modification unilatérale d'un élément essentiel du contrat de travail : rappelez la date du refus et que, constatant que l’employeur n’est pas revenu sur sa décision, vous ne pouvez reprendre le travail qu’aux conditions initiales de votre contrat ce qui rendu impossible par l’employeur.

La réponse doit être faite par recommandé avec accusé réception (LRAR) et dans le délai fixé par l’employeur dans son courrier de mise en demeure.

Un décret est attendu pour fixer le délai minimum que l’employeur doit laisser aux salariés pour répondre.

C’est à l’expiration de ce délai que le ou la salarié·e est présumée démissionnaire.

Le licenciement pour abandon de poste a-t-il disparu ?

Et non ! L’abandon de poste demeure un motif de licenciement.

Une preuve supplémentaire que ce nouvel article est en réalité une coquille vide.

En effet, il n’est pas certain que les employeurs se saisissent de ce nouveau dispositif alors qu’ils disposent toujours de la possibilité de mettre fin au contrat de travail en licenciant le ou la salarié·e pour abandon de poste (qui peut être constitutif d’une faute grave privative d’indemnités), procédure qu’ils maîtrisent mieux.

C’est d’autant plus vrai que le licenciement – ne privant pas les salariés de l’allocation chômage - les exposent moins à un recours. En effet, les salariés considérés comme démissionnaires, dès lors qu’ils ont des griefs à faire valoir, ont plus intérêt à aller contester la rupture pour récupérer leur droit au chômage.

Est-il possible d’abandonner volontairement son poste pendant la période d’essai ou en contrat à durée déterminée ?

Oui mais ce n’est pas ce dispositif qui pourra être mobilisé par l’employeur.

En effet, tout comme on ne peut démissionner en période d’essai ou en contrat à durée déterminée (dans ces deux hypothèses il s’agit d’une rupture libre ou anticipée et non d’une démission), ce dispositif ne concerne que les salariés en contrat à durée indéterminée. 

 

J’ai été considéré comme démissionnaire par mon employeur mais je souhaite contester et réintégrer l’entreprise, que faire ?

Vous pouvez saisir le Conseil de prud’hommes pour contester la rupture de votre contrat pour motif de « démission ».

En effet, le nouvel article prévoit une procédure accélérée qui permet de saisir le Conseil de prud’hommes, et d’obtenir, sans passer par la case conciliation[4], une décision dans un délai d’un mois, même si en pratique ce type de délai est rarement tenu.

En l’état, le texte ne permet pas de comprendre s’il est possible de formuler à la fois des demandes sur la nature de la rupture (démission ou licenciement) et sur sa justification (licenciement abusif si l’abandon de poste justifiant le licenciement est lié à des torts de l’employeur).

En tout cas, si les juges du fond considèrent que la rupture n’est pas une démission mais un licenciement abusif, privé de cause réelle et sérieuse, il est possible que le juge ordonne la réintégration si l’employeur ne s’y oppose pas[5].

Je souhaite démissionner mais j’estime que la rupture est en réalité imputable à mon employeur

Deux dispositifs existent : la prise d’acte et la résiliation judiciaire[6].

Ce sont des dispositifs qui peuvent être compliqués et qui comportent des risques donc un accompagnement juridique est recommandé.

Dans tous les cas, il est conseillé aux salariés qui souhaitent démissionner en raison de faits reprochés à l’employeur de motiver leur lettre de démission en détaillant tous les griefs.

Cela servira de fondement en cas de recours.

 

 

[1] Décision du Conseil constitutionnel n° 2022-844 DC du 15 décembre 2022 : liste non limitative donc à suivre, en fonction de ce que les juges trancheront

[2] Cass. soc., 10 mars 2004 n° 02-40.652

[3] Un usage veut que ce délai soit de 48 heures, ce délai peut également être fixé par voie conventionnelle.

[4] Suppression de l’audience devant le bureau de conciliation et d’orientation, l’affaire est directement portée en bureau de jugement

[5] Article L.1235-3 du code du travail

[6] Article L1451-1 du code du travail