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Pour signer, les pixels ont-ils la valeur de l’encre ?

Publié le 14/08/2023

Un geste apparemment simple revêt une importance cruciale : la signature. Celle-ci scelle des engagements, assoit des droits et encadre des obligations. Mais comment doit-on signer ? A l’encre ? Sur ordinateur ? Par un logiciel certifié ? Dans cet article, nous explorons les subtilités juridiques sous-entendues par cet acte souvent anodin en apparence, du sens précis de la signature électronique à la pertinence de mentions spécifiques entourant parfois la signature.

Quand faut-il signer ?

La signature n’est obligatoire que pour certains types spéciaux de contrats, dont les contrats de travail à durée déterminée (CDD), les contrats de travail à temps partiels, les contrats d’apprentissage. Par contraste, un contrat à durée indéterminée (CDI) à temps complet peut être conclu à l’oral, sans signature formelle d’un contrat de travail à l’écrit. C’est notamment pour des besoins de preuve de l’accord mutuel sur certaines clauses, par exemple prévoyant une prime, qu’il est préférable de ne pas se contenter d’un accord oral pour un CDI. 

L’absence de signature d’un CDD permet au salarié de demander, devant le Conseil de prudhommes (CPH), sous deux ans à compter du troisième jour de travail, la « requalification » du CDD en CDI. La logique est la même pour l’absence de contrat à temps partiel et la requalification en temps complet.

Dans la plupart des contextes, la signature vient marquer le début d’un engagement ou de la modification d’un engagement. Mais il est des cas où la signature produit un autre effet : attester que l’on a bien reçu une information. Lorsqu’un employeur a décidé qu’il voulait sanctionner un salarié, il arrive qu’il veuille lui remettre la sanction en main propre et qu’il lui demande de signer la remise en main propre. L’éventuelle signature du salarié n’a pas pour effet d’accepter la sanction ou l’avertissement, mais d’indiquer la date à laquelle le salarié a été informé de la décision prise. Le salarié peut donc refuser de signer ; dans ce cas, l’employeur doit procéder par courrier pour avoir la preuve de l’information remise au salarié. Si l’on a un doute concernant les implications de sa signature, il est toujours possible de faire précéder sa signature d’une mention qui vient en préciser le sens. Par exemple : « Je déclare avoir pris connaissance du présent document exclusivement pour information ».

 

Comment faut-il signer ?

Encore faut-il déterminer la façon dont il faut qu’un document qui nous engage soit signé. En droit, ce qui est important dans la signature est moins le dessin approximatif inspiré de ses initiales que la possibilité d’identification de l’auteur de l’engagement. Ce qui est essentiel, c’est d’abord que la personne qui signe indique son nom et prénom pour qu’elle soit identifiable. La signature manuscrite est une solution facile pour signer : on appose son nom et prénom à la main, la qualité en laquelle on signe, suivi du signe de la signature. La « signature manuscrite » est consacrée par le Code civil, et produit pleinement les effets juridiques d’une signature, à savoir le cas échéant, preuve de réception, d’information, engagement.

Un type de signature produit les mêmes effets qu’une signature manuscrite, c’est la signature électronique. Juridiquement, la « signature électronique » a cependant un sens strict – toute signature informatisée ou numérisée n’est pas une signature électronique. L’expression juridique de signature électronique ne désigne que certaines signatures répondant à un formaliste important, encadré par le droit européen et français, nécessitant en principe l’intervention d’un tiers certifiant, souvent sous la forme d’une prestation de service payante.

Par contraste, ni une signature manuscrite scannée et apposée par copier-coller en bas d’un contrat de travail n’est reconnue juridiquement comme une « signature électronique », ni une signature réalisée avec la souris sur un logiciel de traitement de texte qui permet de dessiner non plus, ni une signature réalisée sur une tablette. Malgré la fréquence avec laquelle ces solutions pratiques de signatures sont utilisées au quotidien, ces signatures ne sont donc pas des « signatures électroniques » Bien que tracé à la main, via un stylet ou une souris, elles n’ont pas non plus actuellement la valeur juridique des « signatures manuscrites » – pour être juridiquement manuscrite au sens du Code civil, pour le moment, une signature doit avoir été tracée avec un procédé de type encre et non avec des pixels. Actuellement, la valeur juridique de ces exemples de signatures, ni électroniques ni manuscrites, est encore confuse. Si personne ne conteste l’identité de la personne ayant signée, il n’y aura certes aucun problème. Cependant, la prudence doit donc être de mise lorsqu’il s’agit de signer un document qui nous engage tout autant qu’il nous protège. Par prudence, il est possible d’imprimer le contrat, de le signer, et de le scanner pour le renvoyer ; dans ce cas, la signature aura la valeur d’une signature manuscrite, qui est reconnue par le droit. Si l’on veut utiliser une « signature électronique », il faut se renseigner précisément sur les conditions permettant à cette signature de produire effet.

Les conseils de prudence présentés valent également pour l’ensemble des documents présentés aux salariés pour signature. S’il s’agit d’une promesse d’embauche, d’un avenant de modification du contrat de travail, il vaut mieux s’assurer que sa propre signature ne soit pas contestable, et que celle de l’employeur l’engage effectivement. Rien n’empêche donc une personne d’utiliser une autre signature que celle qui figure sur ses papiers d’identité ; c’est cependant pour elle presque le risque de ne pas être identifiée comme son autrice. C’est donc de manière générale entièrement à ses propres dépends que l’on peut utiliser une autre signature que sa signature officielle figurant sur ses papiers d’identité.

Et à part la signature ?

Parapher chaque page de son contrat de travail, d’un avenant ou d’un accord collectif n’est pas obligatoire pour sa validité juridique. A l’inverse, parapher sans signer à la fin du contrat ne produit pas l’effet juridique d’une signature. Cependant, parapher peut permettre de prouver chaque page a été lu et approuvé par son cocontractant. Si l’on a négocié une clause avantageuse, avoir paraphé la page qui la contient évite par exemple que l’employeur puisse déclarer que cette page ne figurait pas au contrat, mais encore faut-il avoir garder pour soi un exemplaire paraphé.

Il est conseillé d’indiquer le lieu et la date en marge de la signature, si elles ne figurent pas déjà dans le document. Ces mentions servent, en droit des contrats, à permettre de dater l’engagement et peuvent jouer pour attribuer le tribunal géographiquement compétent pour le contrat et certains délais d’action juridique. En revanche, les mentions « lu et approuvé », « bon pour accord » ou tout autre mention équivalente, sont sans effet juridique : elles sont aussi inutiles qu’inoffensives.