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Les conditions de travail : la frontière entre modification et changement

Publié le 05/06/2023 (mis à jour le 26/07/2023)

Certaines de ces modifications nécessitent l’accord du ou de la salariée, formalisé par un avenant au contrat de travail, et d’autres peuvent lui être imposées par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction (il s’agit alors de « changement des conditions de travail »).

Pas plus qu’il ne définit ce que sont les conditions de travail, le code du travail ne définit pas ce qu’est une modification ou un changement des conditions de travail.

La jurisprudence est venue pallier cette carence en appréciant au cas par cas et en s’appuyant sur l’idée que ce qui figure dans le contrat, négocié entre l’employeur et le ou la salariée, ne peut être modifié que par les deux parties.

Il faut donc, dans ce premier cas de figure, l’accord du ou de la salariée, formalisé par la signature d’un avenant au contrat de travail.

En revanche, au stade de l’exécution du contrat, l’employeur dispose d’un pouvoir de direction qui lui permet d’imposer des changements aux salariés. Ce pouvoir de direction ne doit, en revanche, pas dégénérer en abus. Ainsi, cette mesure ne peut porter une atteinte excessive aux droits fondamentaux des salariés, que sont notamment le respect de sa vie personnelle et familiale ou le droit à la santé et au repos.

Dans ce second cas de figure, l’accord du salarié n’est pas requis et son opposition pourrait être constitutive d’une faute. Néanmoins celui-ci conserve un droit de refus si, compte tenu de sa situation personnelle, il est en mesure de démontrer que cette décision de l’employeur porte atteinte à ses droits fondamentaux.

En tout état de cause, la frontière entre changement et modification est particulièrement mince dès lors que certains changements peuvent, par un effet « boule de neige », entraîner des conséquences sur un élément contractualisé (rémunération, statut…).

Ainsi, il faut être particulièrement attentif à ce qui est négocié au stade de la conclusion du contrat concernant les clauses qui pourraient être qualifiées d’essentielles : fonction et qualification, rémunération, temps de travail, horaires de travail, lieu de travail. [1]

Il est donc préconisé de lire attentivement le contrat de travail avant signature et de solliciter des précisions afin que tout soit mentionné dès le départ.

J’ai une clause de mobilité, est-ce que cela signifie que l’employeur peut modifier mon lieu de travail sans que je puisse m’y opposer ?

Effectivement, lorsque le contrat prévoit une clause de mobilité, l’employeur est autorisé, en principe, à modifier le lieu de travail sans l’accord du salarié.

Néanmoins, encore faut-il s’assurer que la clause est bien valable, et pour cela il peut être utile de se rapprocher d’un conseil juridique car ce type de clause pose souvent des difficultés.

Ensuite, l’employeur peut mettre en œuvre la clause de mobilité s’il justifie que cette mutation est bien liée aux intérêts de l’entreprise. La clause de mobilité ne doit pas être utilisée à d’autres fins (sanction déguisée par exemple[2]) auquel cas il s’agirait d’un abus de pouvoir de l’employeur.

Par ailleurs, l’employeur est tenu de prendre en considération la situation personnelle du ou de la salariée. Le ou la salariée peut faire valoir ses droits fondamentaux (voir en introduction) pour justifier de son refus. [3]

En outre, l’employeur doit respecter un délai de prévenance qui est soit fixé dans le contrat, soit dans un accord collectif. A défaut de précision dans le contrat ou dans un accord ce doit être un délai « raisonnable ». La précipitation de l’employeur peut permettre au salarié de refuser la mutation sans que cela ne puisse lui être reproché.

Ainsi, si la mise en œuvre de la clause de mobilité respecte ces conditions, le ou la salarié·e doit accepter la mutation. S’il refuse, il s’expose à des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement. En revanche, si la mise en œuvre de la clause de mobilité est abusive, le refus du salarié ne justifie pas un licenciement et si l’employeur persiste dans sa sanction, le salarié pourra le contester[4].

 

Il est prévu que je bénéficie d’une rémunération variable. Est-ce que l’entreprise peut, unilatéralement, modifier le mode de calcul de ma rémunération variable ?

Il est fréquent que les entreprises adoptent en début d’année des « plans de commission » ou « plan de rémunération variable » qui modifient le mode de calcul de la rémunération variable.

Or, dès lors que la rémunération variable est contractualisée, elle ne peut être modifiée ni dans son montant ni dans sa structure sans l’accord du ou de la salariée, et ce même si le contrat ne détaille pas le mode de calcul.[5]

Peu important également que l’employeur prétende que le nouveau mode de rémunération est sans effet sur le montant de la rémunération du salarié voire qu’il lui est plus favorable.

Ainsi, il faut dans tous les cas que l’employeur propose un avenant aux salariés.

Toutefois, il faut noter que l’employeur garde une certaine latitude lorsque la rémunération variable est liée à des objectifs. L’employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction, peut unilatéralement définir les objectifs et les modifier dès lors « qu’ils sont réalisables et qu’ils ont été portés à la connaissance du salarié en début d’exercice »[6].

On m’a attribué de nouvelles tâches et j’ai changé de hiérarchie : est-ce une modification ou un simple changement de mes conditions de travail ?

Le premier réflexe est d’aller regarder le contrat de travail : est-ce que les tâches sont listées limitativement ou mentionnées à titre indicatif ? [7] Est-ce que ma place dans l’organigramme est figée dans le contrat ? [8]

Si la réponse à ces deux questions est positive, il s’agit d’une modification du contrat qui doit faire l’objet d’un avenant.

Sinon, il faut évaluer l’ampleur de cette nouvelle organisation et ses conséquences en se posant une série de questions : est-ce que cela affecte ma classification ? Est-ce que ces nouvelles tâches sont étrangères à ce pour quoi j’ai été recruté·e ? Est-ce qu’il peut y avoir des conséquences sur ma rémunération fixe/variable ? etc…

La liste des questions peut être longue, l’objectif étant d’identifier si ce changement des conditions de travail – en apparence - ne constituerait pas plutôt une modification du contrat qui toucherait directement au contrat de travail.

On me propose de me confier, temporairement, d’autres attributions : s’agit-il d’une modification ?

Les solutions sont différentes selon les cas. Il faut prendre en compte l’ampleur de la modification (effet sur le temps de travail, la réduction ou l’extension des missions…), sa durée, ainsi que les circonstances dans lesquelles elle a été décidée.

En outre, ce cas de figure se rencontre le plus souvent dans le cadre d’un remplacement d’un·e salarié·e. Or, de nombreuses conventions collectives contiennent des dispositions organisant les modalités de remplacement, précisant parfois qu’un avenant est nécessaire. Il conviendra donc de s’y référer.

Ensuite, la jurisprudence est fluctuante sur ce sujet[9], considérant dans certains cas que la modification temporaire des fonctions ne constituent qu’un changement des conditions de travail (qui peut donc être imposé au salarié).

Néanmoins, comme pour le point précédent, il nous apparaît que même temporairement un changement d’attributions qui aurait des conséquences sur la rémunération ou le temps de travail, doit faire l’objet d’un avenant.

Cet avenant doit préciser qu’il est à durée déterminée et fixer une date de fin.

De sorte que, à l’issue de cette période, le ou la salariée doit retrouver son emploi aux conditions initiales sans qu’il ne soit nécessaire de lui faire resigner un avenant.

La solution est néanmoins différente pour les salariés protégés (voir ci-après) pour qui, le retour aux conditions antérieures est assimilé à une modification du contrat qui doit donc faire l’objet d’un nouvel avenant.

Un nouvel accord collectif entre en vigueur, il va modifier mes conditions de travail : je peux refuser ?

Le nouvel accord est d’application immédiate et s’impose en principe aux salariés.

Néanmoins, si le contrat prévoit des stipulations plus favorables au nouvel accord, ces clauses continuent de s’appliquer et prévalent sur l’accord collectif.[10]

Si l’employeur souhaite appliquer les clauses de l’accord moins favorables au contrat de travail, il doit alors requérir l’accord du ou de la salariée et lui proposer un avenant.

Il faut également être vigilant si ce nouvel accord se substitue ou modifie un accord précédent.

En effet, certains contrats de travail ne se contentent pas d’une simple référence à un accord collectif mais en reprennent les dispositions. Dans ce cas, il faut considérer que les stipulations de l’accord collectif précédent ont été contractualisées.

Il en résulte que le nouvel accord qui se substitue ou modifie l’accord antérieur doit, pour s’appliquer, faire l’objet d’un avenant au contrat de travail.

Enfin, une spécificité mérite d’être abordée : l’accord de performance collective.

Ce type d’accord, ayant pour objet de répondre « aux nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise ou préserver ou développer l'emploi », a vocation à modifier temporairement les contrats de travail des salariés sur les points essentiels tels que la rémunération, le temps de travail etc…[11]

Le principe, pour l’accord de performance collective, est qu’il s’applique aux salariés sans passer par la signature d’avenant au contrat de travail.

Néanmoins, les salariés disposent de la faculté de refuser que l’accord leur soit appliqué. S’ils refusent, ils s’exposent à un licenciement pour cause réelle et sérieuse et non pour motif économique. Ils ne bénéficient donc pas des dispositifs plus favorables liés aux licenciements économiques.

 

Je suis salarié·e protégé·e : est-ce qu’il y a des règles particulières ?

Oui. Même un simple changement des conditions de travail ne peut être imposé, en principe, à un·e salarié·e protégé·e.

En effet, tout changement est susceptible d’affecter les conditions d'exécution de son mandat.

Par conséquent, en cas de refus du salarié protégé d'accepter le changement ou la modification de ses conditions de travail[12], l'employeur doit soit y renoncer, soit mettre en œuvre la procédure spéciale de licenciement en sollicitant l'autorisation auprès de l'inspecteur du travail (le motif est alors non pas le refus mais le motif de la proposition de changement/modification).

Fanny Levassor et Naïla Dzanouni Brousse Delaborde

 

N’hésitez pas à vous rapprocher de votre délégué syndical CFDT ou de votre syndicat des Services local 

 

 

 

[1] Il est donc plus que préconisé de conclure un contrat écrit, même si un contrat à durée indéterminée n’a pas à être écrit pour être valable.

[2] La bonne foi contractuelle étant présumée, les juges n'ont pas à rechercher si la décision de l'employeur de faire jouer une clause de mobilité est conforme à l'intérêt de l'entreprise. C'est au salarié qu'il incombe de démontrer que cette décision a été, en réalité, prise pour des raisons étrangères à cet intérêt, ou bien qu'elle a été mise en œuvre abusivement (Cass. soc., 23 févr. 2005, n° 04-45.463 ; Cass. soc., 11 mai 2005, n° 03-43.040).

[3] Il faut que l’atteinte portée à ses droits soient suffisamment flagrantes (exemple : tel est le cas, lorsque l'employeur a imposé à un salarié, qui se trouvait dans une situation familiale critique (son épouse était alors enceinte de sept mois), un déplacement immédiat dans un poste qui pouvait être pourvu par d'autres salariés (Cass. soc., 18 mai 1999 n°96-44.315).

[4] Le licenciement sera alors jugé sans cause réelle et sérieuse, avec versement de dommages-intérêts.

[5]. Cass. soc., 30 mai 2000, n°97-45.068P ; Cass. soc., 16 juin 2004, n°01-43.124 Cass. soc., 18 mai 2011, n°09-69.175 ; Cass

[6] Cass. soc., 30 mars 2011, n°09-42.737

[7] C’est souvent la seconde option qui est retenue dans les fiches de poste annexée au contrat de travail.

[8] Jamais le cas en pratique

[9] Cass. soc. 1er mars 1989 n° 86-42.368 : ne peut se prévaloir d'une modification de son contrat de travail, le salarié dont les fonctions éducatives sont provisoirement suspendues pendant la durée d'une mission d'étude

[10] Article L.2254-1 du code du travail

[11] Article L.2254 2 du code du travail

[12] A noter : même en présence d’une clause de mobilité, le salarié protégé peut refuser une mutation (Cass. soc., 2 mai 2001, n° 98-44.624)